29.11.11

Epuisantes manoeuvres




Exténués, épuisés, fourbus. Voilà comment nous sommes aujourd’hui nous  les soldats du 21e. Et peut-être même  ceux de l’ensemble  du 3e corps.  Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas en guerre que les officiers nous laissent vivre dans la fainéantise. De cinq heures du matin à six heures du soir, il y a l’instruction, les exercices et les manœuvres au pas ordinaire puis au pas oblique, avec ou sans armement et quand c’est fini ça recommence. La terreur des généraux : une inspection surprise de Davout qui lui semble vouloir que toute son armée puisse partir à la guerre demain.

Et quand c'est fini, ça recommence sj

Les conscrits en bavent à apprendre le port d’armes comme le
prescrit le règlement de 1791 : «L'arme dans la main gauche, le bras très peu ployé, le coude en arrière et joint au corps sans le serrer , la paume de la main serrée contre le plat extérieur de la crosse, son tranchant extérieur dans la première articulation des doigts, le talon de la crosse entre le premier et le second doigt , le pouce par-dessus, les deux derniers doigts sons la crosse, qui sera appuyée plus ou moins ta arrière, suivant la conformation de l'homme, de manière que l'arme vue de face, reste toujours perpendiculaire, et que le mouvement de la cuisse en marchant ne puisse pas la faire lever ni vaciller.»

A lui tout seul, le maniement de notre fusil impose un long apprentissage.
Et pour le bastringue et autres distractions, il n’y a plus que les racontars des vieux briscards. Car nous qui occupons l’Allemagne, nous ne sommes pas cantonnés en ville mais en pleine campagne où nous marchons, marchons, marchons…






22.11.11

En guerre contre la Prusse?

Je vous le confie dans le plus grand secret : depuis quelques jours, c’est le branle-bas de combat dans le bureau du général d’artillerie. On dit qu’il y a jusque sur le sol des relevés topographiques, des états de situation des régiments et des poudres et boulets. Chacun s’affaire avec diligence. Napoléon aurait ordonné à Davout de se préparer à faire la guerre contre la Prusse. Discrètement. Donc motus…

Avant de repartir en campagne, et sans être devenu moi-même un versificateur, j’ai amusé mes compagnons avec cette fable qui a été lue, c’est le Moniteur qui l’écrit, à la séance de l’Institut impérial :

«Sans la pièce de bœuf, il n’est point de dîné
Combien, en fait de bœuf, n’a-t-on point raffiné :
En plus de cent façons je crois qu’il s’accommode
L’un veut qu’en miroton le bœuf soit mitonné
Moi j’aime le bœuf à la mode
Le bœuf grillé en Espagne, en Allemagne il bout
A la Chine en France partout…»

Nous avons ri de ces messieurs de Paris… avant de regagner nos paillasses sales avec dans nos rêves cette nuit là les doux fumets de bœuf mitonné, bœuf grillé et bœuf bouilli…






8.11.11

La première dent du roi de Rome


Je me demande bien quelle idée de notre époque se feront ceux qui liront le Moniteur dans 200 ans.
Ainsi à savourer dans le journal du 7 novembre, cette adresse à Napoléon de passage à Düsseldorf du flagorneur comte de Westerholt-Oberhausen : «Nous supplions Votre Majesté de continuer à nous gouverner ; c’est lui demander de continuer à nous rendre heureux.»

Dans un autre genre, dans l’édition du 19 octobre, la liberté de paraitre des feuilles périodiques d’affiches, annonces et avis divers mais seulement dans une série de villes de l’Empire et sans «aucun article de nouvelles politiques ou de littératures».
C’est dangereux la littérature ?

Enfin en première page de l’édition du 25 octobre, la première dent du Roi de Rome.
C'est la crise – un conscrit d'Arras affirme que les campagnes sont pleines de mendiants et de vagabonds - une nouvelle guerre se prépare à grands renforts de soldats...et que lis-je : un article sur la première dent d'un bébé! Même si ce n'est pas n'importe quel enfant puisque c'est le royal fils de Notre Empereur!
Comme on dit chez nous: "I vaut miux d’rire que d'braire".


19.10.11

L'Empereur et le savon



J'en aurais long à vous conter mais le temps me manque, moi un presque vétéran, sous prétexte que j'ai déserté quelques mois, j'ai dû reprendre l'instruction…

J’ai quand même copié pour vous dans le Moniteur de cette semaine un décret consacré à la marque qui doit figurer sur les savons sous peine de poursuites «devant nos cours et tribunaux comme matières de police… » Cette marque «pour le savon fabriqué à l’huile d’olive sera de forme concave ovale et portera dans le milieu, en lettres rentrées, ces mots : huile d’olive. Celle pour le savon à l’huile de graines sera de forme concave carrée…Et celle pour le savon au suif ou à la graisse sera de forme concave triangulaire…» Je vous passe les détails…

Et qui a signé ce décret? Napoléon, empereur des Français, roi d’Italie protecteur de la confédération du Rhin, médiateur de la confédération suisse etc etc etc …

Quand je vous dis qu’IL s’occupe de tout.
Et si le pape l’avait signé, on aurait parlé d’une bulle…

Nous avons aussi beaucoup ri de l’arrestation au Théâtre des Variétés d’un déserteur du 24e régiment de l’infanterie légère. Il était déguisé en femme…

27.9.11

Je ne suis plus déserteur

J’leu fait, je suis toujours vivant et je ne traine pas de boulet au pied ! J’ai réintégré le 21e de ligne aujourd’hui. Je manquais à l’appel depuis le mois de février. Vous le savez certainement, les déserteurs risquaient dans l’ordre de gravité : la mort, le boulet – marcher avec un boulet de calibre huit attaché par une chaine à la jambe gauche, vous pouvez essayer ce n’est guère commode – et dans tous les cas, une amende.

Mais il semble bien que j’ai été accueilli à bras ouverts. Et pourtant, aucune amnistie n’avait été décrétée en ce mois de septembre 1811.
La seule explication : les rumeurs qui font tant parler dans les
chambrées d’une campagne qui pourrait conduire l’armée en Russie…

La seule conséquence pour moi de ma désertion, elle est inscrite sur le registre du régiment : le changement de mon matricule. J’avais le numéro 5559, je suis désormais le 5085 ! Vous pouvez le noter.

Je me demande bien ce qu’est devenu le gars qui portait ce numéro là auparavant. En tout cas moi j’ai arrosé ça avec mes camarades retrouvés puisque j’ai été réincorporé dans le même 2e bataillon.


23.9.11

J’imagine votre impatience de passer à la 2ème leçon de l’Instruction du Soldat. Mais il me faut d’abord vous poser une question que je pourrais m’amuser à hurler comme un adjudans : combien parmi vous, bande de nig'doules, ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche ?
Tous ?
Et je les inviterais à ôter leurs chaussures… et à y placer de la paille dans celle qui chausse le pied droit…non pas celle-ci, celle-là, et du foin dans celle du pied gauche et en avant marche : paille-foin, paille-foin, paille-foin…une méthode éternelle même s parfois je m’interroge : est-ce que dans deux cents ans vous saurez encore distinguer la paille du foin ?

13.9.11

D’accord, d’accord, je vais vous raconter toutes mes batailles, mais si je ne commence pas par les commencements, vous n’allez pas tout saisir. Vous devez donc subir au moins les premières leçons de la formation du soldat.

Le règlement de 1791 fera l’affaire, de la position sans arme aux changements de direction.

Et je vous conseille de vous habituer aux ordres criés «d’une étendue de voix proportionnée au nombre de recrues qu’on exercera» autrement dit «au nombre de recrues à dresser».

Les recrues c’est vous. Moi je joue le rôle de l’adjudant-major. Décidément l’armée me manque.

Donc je vous laisse vous installer. La première leçon est consacrée à la position du soldat :


-Vous devez «mettre vos talons sur la même ligne»;
- Ils doivent «être rapprochés autant que possible». Parce qu’on ne peut pas demander à des hommes aux genoux cagneux de les joindre complètement.
- Les pieds doivent être «un peu moins ouverts que l'équerre, et tournés en dehors». Car s’ils sont trop tournés, quand vous allez devoir porter le haut du corps en avant, vous allez vous casser le nez.
- Les genoux eux doivent être « tendus sans les roidir » ;
- Le corps « d'aplomb sur les hanches » ;
- Le « haut du corps doit être penché en avant » ; je vous avais prévenu. Le contraire a de grands inconvéniens dans la marche ;
- Les épaules effacées et non pas les épaules en avant et le dos voûté des hommes de la campagne…Vous êtes des soldats sacrebleu.

30.8.11

Il se dit que le 15 août, devant sa Cour réunie aux Tuileries, l’Empereur a foudroyé de sa colère l’ambassadeur du Czar à propos de la Pologne dont il ne veut céder «un pouce du territoire». D’après un colporteur qui le tenait de la sœur de la femme de chambre d’un diplomate, Napoléon a hurlé qu’il ne reculerait pas…même si les armées russes campaient sur les hauteurs de Montmartre. Les armées russes à Paris? Je me demande parfois comment l’Empereur fait pour imaginer des évènements aussi invraisemblables. Ou alors c’est le colporteur qui abuse de l’eau-de-vie…

Toujours est-il que le Russe Kourakine – qui lui est déjà à Paris - a eu tellement peur, dit-on, que ses suées ont dégouliné jusqu’à la Seine.

Encore plus étonnant, le lendemain du jour où on m’a rapporté le récit du colporteur, je croise une connaissance et nous reparlons de l’impériale colère du 15 août. Un dialogue de sourd ; cet ami avait lui aussi entendu parler d’une colère de Napoléon ce 15 août mais contre Montalivet, le ministre de l’intérieur et à propos des mauvaises récoltes de l’année, et du peuple qui devait pouvoir avoir du pain, beaucoup et bon marché… «Et de qui donc, Monsieur, croyez-vous que nous nous occupons ?…des riches !»




Pour en savoir plus

23.8.11

Ce n’est pas parce que j’ai déserté en février dernier que je ne me tiens pas au courant des affaires de l’armée. Avec un peu de retard…Un blanc-bec effrayé (ce doit être un pléonasme) croisé dans la ville m’a ainsi parlé du seul sujet des conversations au début de ce mois d’août dans les chambrées : le départ à marche forcée de 88 « mauvais sujets » de l’armée d’Allemagne vers le terrible bataillon de prisonniers de l’ile de Walcheren en Zélande. Ils ne voulaient sans doute pas y aller ; cette ile est maudite, célèbre pour les fièvres qui ont tué des milliers de soldats anglais il y a deux ans. On savait dans les rangs que les colonels cherchaient à se débarrasser de ces « mauvais sujets ». Davout avait même écrit à Napoléon pour le lui dire. L’Empereur – qui s’occupe de tout, vraiment de tout - a donné l’ordre. Mieux : il s’est même préoccupé du cas de Bopping, ce soldat du 128e régiment qui voulait conserver la médaille d’argent qu’il avait obtenu pour action d’éclat au service de la Westphalie : « On peut le laisser porter sa médaille » a écrit Napoléon magnanime.
Mais je repense avec effroi à l’ile de Walcheren : dans l’esprit de l’Empereur, un déserteur : c’est un « mauvais sujet »?


17.8.11

Souvenirs heureux de la Saint-Napoléon à la casaire*. Les tirs à la cible bien souvent ratés, le mât de cocagne encore luisant de graisse, les courses, les pugilats qui finissaient parfois mal et surtout un quart de pot de vin pour chaque homme.**
Je ne peux pas vous en dire davantage ; cette année, je n’y étais pas.

Pas plus qu’à Paris où on m’a dit que le préfet de police avait interdit les bains froids en amont du pont de la Concorde, de monter sur les arbres des Champs Elysées, de vendre, d’acheter ou de tirer des fusées, pétards, bombes et autres pièces d’artifices dans les rues et aux pompiers de quitter leurs pompes… Comment s’amuser alors ? Mais quand même ; pour la joute sur la rivière entre le pont Royal et le pont des Tuileries et le tir d’un grand feu d’artifice place de la Concorde, c’était là qu’il fallait être. Qui sait, peut-être l’année prochaine ?


*La caserne
** Pour en savoir plus…

11.8.11

En ce mois d’août de 1811 d’il y a deux cents ans, cela fait plusieurs mois que j’ai déserté. Je ne sais plus bien pourquoi, le mal du pays, l’envie de revoir ma promise, ou bien les premiers bruits annonciateurs d’une campagne en Russie. A l’époque, le 21ème de ligne que j’avais rejoint en février 1807 à Juliers en Rhénanie, tenait garnison à Madgebourg…